Pour la première fois de l’histoire du Tour de France, qui a fêté ses 120 ans le mois dernier, les deux mêmes coureurs ont occupé les deux premières places du classement général final trois ans de rang. S’il est assez bien documenté que Tadej Pogacar a fait ses premières armes en Grand Tour sur La Vuelta, troisième et triple vainqueur d’étapes en 2019, à 20 ans, Jonas Vingegaard, qui a connu une maturation légèrement plus tardive, a suivi la même trajectoire. Tous les amateurs de cyclisme ne s’en souviennent pas forcément mais il a joué un rôle fondamental dans le résultat final de la La Vuelta en 2020, édition singulière disputée en automne à cause de la pandémie de Covid-19.
Les couleurs de la nature étaient superbes, il faisait frais, une nouvelle vague de virus se profilait… C’était une opération-sauvetage, tant pour l’épreuve elle-même que pour La Roja (le maillot rouge de leader) que Primoz Roglic, le vainqueur sortant, devait défendre face à Richard Carapaz. Entre Robert Gesink et Sepp Kuss, les lieutenants du Slovène, s’était incrusté en montagne un nouveau pion dans le dispositif de Jumbo-Visma, un coureur plus chétif, inattendu : le Danois Jonas Vingegaard, alors âgé de 23 ans et comptant une seule victoire pro à son palmarès (une étape du Tour de Pologne 2019). On le revoit, par exemple, sur la 12e étape, traîner son leader dans son sillage dans la montée de l’Angliru que les deux hommes sont appelés à escalader de nouveau cette année, le 13 septembre, soit quatre jours avant l’arrivée à Madrid : 3,5km avant le sommet, Vingegaard s’écarte, laissant à Kuss le soin de finir le travail, qui consiste à limiter le débours de Roglic sur Carapaz, ce qui lui permettra de récupérer La Roja pour de bon, le lendemain, à la faveur du contre-la-montre menant au Mirador de Ézaro.
Vingegaard fut si efficace au service de Roglic sur La Vuelta 20 remportée pour seulement 24 secondes que le Slovène réclama qu’il remplace Tom Dumoulin dans l’effectif conçu longtemps à l’avance pour le Tour de France 2021, avant que le vainqueur du Giro 2017 mette sa carrière sur pause. La suite est connue : deux chutes de Roglic ont promu Vingegaard leader de Jumbo-Visma pour une deuxième place à Paris en 2021 et la première en 2022, si convaincante que la formation hollandaise a choisi d’étaler ses forces sur les trois Grands Tours en 2023.
Roglic, triple vainqueur de La Vuelta (2019, 2020, 2021), est désormais lauréat du Giro. Il n’est arrivé qu’une fois, depuis 1995, année où La Vuelta est devenue chronologiquement la troisième épreuve de trois semaines, que le vainqueur du Giro et celui du Tour se retrouvent fin août au départ de La Vuelta, mais en 2008, Alberto Contador et Carlos Sastre n’étaient pas coéquipiers. Et ils étaient tous deux espagnols. L’intérêt et même l’amour que portent Roglic et Vingegaard à La Roja en dit long sur l’internationalisation de La Vuelta au cours des quinze dernières années.
Ils annoncent tous les deux qu’ils se présenteront à Barcelone pour gagner en équipe, sans hiérarchie préétablie entre eux. Mais revoilà ce que déclarait Vingegaard en flash-interview à Salamanque le 6 novembre 2020, quelques secondes avant de prendre le départ de la 16e étape qui allait voir la victoire de son compatriote Magnus Cort à Ciudad Rodrigo, au sprint devant Roglic : « J’essaie seulement d’aider Primoz autant que possible. Je pense que j’ai surpris le public, mais aussi moi-même et l’équipe ici en Espagne. Je sais que j’ai un haut niveau quand je suis au mieux de mes capacités mais je ne crois pas que j’ai encore atteint mes limites sur cette Vuelta. » L’avenir démontre qu’il était clairvoyant et il revient sur La Vuelta avec un tout autre statut. C’était envisagé avec son staff de Jumbo-Visma depuis l’hiver dernier mais il voulait d’abord gagner son deuxième Tour de France avant de confirmer sa participation. |